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LES DISTILLERIES DU QUÉBEC SOUS RESPIRATEUR ARTIFICIEL

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    Voyage Autour Du Gin
  • il y a 2 jours
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 24 heures


un coeur brisé avec une texte qui mentionne les distilleries du Québec sous respirateur artificiel

UNE RÉALITÉ ÉTOUFFANTE

Sous une législation à la fois gourmande et désuète, la majorité des distilleries québécoises n’arrivent plus à joindre les deux bouts, peu importe le contexte économique. Tout spiritueux vendu au Québec, qu’il soit produit ici ou ailleurs dans le monde, qu’il provienne d’une petite distillerie artisanale ou d’un grand groupe international, est soumis à la même taxation. À noter que les grands groupes internationaux détiennent à eux seuls environ 50 % du marché mondial des spiritueux.


LES DISTILLERIES DU QUÉBEC SOUS RESPIRATEUR ARTIFICIEL


En moyenne, entre 70 % et 80 % du prix final d’une bouteille vendue au Québec correspond à des taxes et marges gouvernementales. Autrement dit, si vous achetez une bouteille à 40 $ à la SAQ, il ne reste souvent que 8 à 12 $ de marge brute (parfois moins) au producteur. Cette marge doit couvrir les matières premières, les salaires, les équipements, le local, les permis, la recherche et développement, le marketing, etc.


UNE TAXATION DÉMESURÉE

La plupart des taxes imposées sur une bouteille sont compréhensibles. Cependant, la marge brute perçue par le gouvernement via la majoration de la SAQ est tout simplement pharaonique : entre 40 % et 45 % de la valeur de la bouteille. Cette majoration s’applique même lorsque le spiritueux est vendu directement à la distillerie, sans passer par une succursale de la SAQ. Inutile de préciser que cela pénalise bien plus les petits producteurs locaux que les multinationales.


Le gouvernement prouve jour après jour qu’il n’a pas de vision de développement pour les distilleries artisanales ou de petite taille, qui produisent à faible volume mais dont l’impact est considérable sur le plan local. Les règles du jeu sont les mêmes pour tous, qu’il s’agisse de petites distilleries, de très grands joueurs ou même de multinationales. Et lorsque ces mêmes règles mettent en péril une industrie entière, c’est qu’elles n’ont plus aucun sens moral, économique ni culturel. Si cette législation, datant presque de la prohibition, ne change pas, mon triste pari est le suivant : dans moins de cinq ans la plupart des micro-distilleries québécoises auront disparu, à l’exception de quelques gros joueurs, façon « grossiste » qui embouteilleront des produits sans âme pour les autres.


La législation actuelle ne permet tout simplement pas la viabilité d’une distillerie dans un modèle dit artisanal (c’est-à-dire qui produit de plus petits volumes avec des ingrédients authentiques). Une petite distillerie qui fait de très belles ventes en SAQ, qui bénéficie d’un bel achalandage dans sa boutique et qui a un investissement initial modeste, donc sans trop de dettes, n’arrivent même pas à dégager un profit suffisant pour être rentable. Si même un « success story » n’est pas viable, c’est que la législation est vraiment inadéquate.


De plus, malheureusement, ce type de législation ne favorise pas la production de spiritueux à valeur ajoutée, bien au contraire. Produire un spiritueux artisanal de qualité demande du temps, un savoir-faire rémunéré, de l’argent et des ingrédients de premier choix. Ajouter un arôme pour parfumer un gin coûte beaucoup moins cher que d’utiliser des ingrédients frais, cultivés dans un jardin ou cueillis en forêt. Je n’ai rien contre les arômes ajoutés lorsque la démarche est transparente : après tout, j’aime autant la poutine que les restaurants étoilés Michelin. Cependant, les deux modèles d’affaires devraient être viables, ce qui n’est pas le cas actuellement dans le monde des spiritueux au Québec, contrairement aux autres filières de production d’alcool telles que la bière, le vin, l’hydromel ou encore les spiritueux ailleurs au Canada. Tout est fait pour que les distilleries soient contraintes d’embouteiller en grande quantité des produits à bas prix, fabriqués ailleurs puis embouteillés ici, ou composés d’arômes ajoutés. Je REFUSE que le Québec soit reconnu uniquement pour ce type de « spiritueux ». Notre terroir mérite d’être goûté, mis en bouteille et exporté partout.


DES LOIS ABSURDES ET UN MODÈLE À REPENSER MAINTENANT

  • Un monopole d’État (SAQ) avec un modèle d’affaires inadapté aux petits producteurs locaux. Ce modèle a été conçu pour remplir les coffres de l’État sur le dos des gros producteurs internationaux, mais dans le principe de fonctionnement actuel, il étouffe les distilleries d’ici.

 

  • MÊME TAUX de taxation pour tous. Les petits producteurs paient le même pourcentage que les multinationales. Il devrait exister différents paliers de taxation selon les revenus générés par une distillerie locale, exactement comme pour le principe de l’impôt. Un individu qui gagne 30 000 $ par année n’est pas imposé au même pourcentage qu’un individu qui gagne 200 000 $ annuellement ; si c’était le cas, plusieurs personnes se retrouveraient à la rue. C’est aussi le même principe pour les taxes municipales : les taxes perçues par la ville sont moindres pour une petite maison que pour une grande baraque.

 

  • Un seul client possible : la SAQ. Par exemple, si l’entrepôt ou les succursales décident de ne pas commander votre produit pendant deux mois car il manque de place, la distillerie se retrouve sans client pendant cette période. Comment rivaliser avec Bacardi dans ces conditions ?

 

  • Ventes limitées. Impossible de vendre ailleurs qu’à la SAQ ou dans sa distillerie : pas de marchés, de festivals, ni de ventes en ligne.

 

  • Vente en ligne interdite. Il est interdit de vendre des spiritueux via son propre site internet et d’expédier les bouteilles, que ce soit au Québec ou ailleurs au Canada, alors que les autres provinces le permettent. Un Québécois peut pourtant acheter des spiritueux sur le site d’une entreprise située en Alberta et recevoir chez lui un colis rempli de bouteilles d’alcool, une pratique courante chez les passionnés.

 

  • Interdiction de vendre directement à des bars ou restaurants.

 

  • Interdiction de servir des cocktails dans sa distillerie. À moins de disposer d’une adresse civique distincte pour la section bar, autrement dit, il faut un autre bâtiment ou un autre local. En plus, la distillerie doit acheter ses propres bouteilles à la SAQ plutôt que de pouvoir les prendre directement dans son propre entrepôt.

 

  • Manque de connaissances en succursale. Le personnel de la SAQ ne peut pas maîtriser tous les produits québécois (et ce n’est pas de leur faute) contrairement au personnel d’un caviste spécialisé dans un type de produit. Résultat : les spiritueux locaux sont mis en valeur de manière inégale. Il y a de très bons conseillers en SAQ, je ne dis pas le contraire, mais il faut les trouver !

 

  • Hausse de prix arbitraires par la SAQ : il y a eu deux hausses en 2025. Lorsqu’une bouteille augmente d’un dollar, par exemple, ce dollar va à l’État, pas à la distillerie.  La SAQ est de plus en plus gourmande.


  • Rabais “Inspire” aux frais du producteur. Par exemple, une offre de 8 000 points (8 $) est assumée par la distillerie, pas par la SAQ.

 

UN PATRIMOINE EN DANGER

Ce ne sont là que quelques exemples des aberrations qui étouffent une partie de notre culture, de notre héritage et de notre économie locale. Qu’il y ait des faillites dans une industrie, c’est normal, mais pas à ce rythme. Lorsque les règles seront équitables pour tous, alors on pourra juger du modèle d’affaires, de la qualité des spiritueux ou de la vision d’une distillerie qui « échoue ».


Pour l’instant, comme le dit un ami :


« L’État presse le citron avant même qu’il soit mûr, sans le moindre plan concret ni vision pour l’avenir. »






P A R

Lukas Lavoie

P H O T O G R A P H I E

Lukas Lavoie







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